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Lorsque Jacques Sapir propose
08/09/2011 08:58
« Démondialisation » : voilà un concept qui fait florès, un « mot-obus qui sert à détruire le système » selon un proche d’Arnaud Montebourg. Le candidat à la primaire socialiste en a d’ailleurs fait son étendard, avec un certain succès, et non sans susciter quelques vocations concurrentes. Alors que le Front national pourfend le « mondialisme », quelques socialistes pudibonds parlent en rosissant « d’écluses » ou de promotion du « juste échange ».
Car le protectionnisme, appellation originelle de la démondialisation, séduit aujourd’hui 80% des français. C’est ce que dévoilait au mois de juin un sondage IFOP, réalisé à l’instigation d’intellectuels regroupés au sein de l’association « Manifeste pour un débat sur le libre-échange ».
Jacques Sapir est l’un d’entre eux, qui vient de produire un argumentaire aussi complet qu’indispensable sur la démondialisation, dans un livre éponyme paru au printemps. Souvent qualifié d’économiste hétérodoxe, parfois considéré comme un « souverainiste de gauche », Sapir y développe son credo. Pour lui, loin d’être un processus naturel ou un état de fait, la mondialisation résulte d’une série de choix politiques conscients. Elle consacre la victoire d’une idéologie : le néolibéralisme. Judicieusement, l’auteur établit des liens entre la globalisation et la crise de la dette que traverse l’Europe. Principal responsable : l’euro, cette monnaie mal conçue, aberration économique et cheval de Troie de la mondialisation financière, dont l’auteur ne se résout pourtant pas à proposer l’abandon.
La démondialisation est un livre dense. Il se présente comme le tableau synthétique et complet d’un phénomène dont on n’appréhende souvent qu’un seul volet, à l’instar d’Emmanuel Todd, très préoccupé par la globalisation marchande, ou de Frédéric Lordon, davantage intéressé par les mécanismes de la mondialisation financière. Sapir s’emploie quant à lui à lier les deux aspects d’une « mondialisation (qui) ne fut jamais heureuse ». Ainsi, à Frédéric Bastiat déclarant que « si les marchandises ne traversent pas les frontières, les soldats le feront », Jacques Sapir aurait tôt fait de répondre que la mondialisation en elle-même est une guerre.
Pour l’économiste, il y a, au jeu de la libéralisation des flux marchands et financiers, des gagnants et des perdants. Les premiers sont « les classes supérieures des pays riches – et de certains pays en développement », de même que les Etats appelés « émergents » mais bien souvent émergés, qui utilisent à leur profit certains mécanismes de la mondialisation, sans jamais réellement en jouer le jeu. La Chine en est le meilleur exemple, qui développe sans la moindre mauvaise conscience une économie de prédation dans le but exclusif de « retrouver son rang », comme aime à de le rappeler le journaliste économique Jean-Michel Quatrepoint .
Les grands perdants de la mondialisation sont quant à eux les pays très pauvres, ainsi que les salariés des pays anciennement industrialisés, exposés à une concurrence des rémunérations devenue planétaire, qui écrase les salaires. Ce sont aussi les pays qui ont cru si fort à la doxa libérale qu’ils l’ont appliquée sans nuance, en se dépouillant volontairement de leur souveraineté économique. Car pour Jacques Sapir, la globalisation a été minutieusement pensée, choisie, fabriquée. En Europe, notamment, où l’Acte Unique, Maastricht, puis la création de l’euro furent le fruit de choix politiques conscients, et d’un renoncement assumé.
C’est en cela, d’ailleurs, que l’euro doit être considérée comme une monnaie exclusivement politique. Alors que l’on craignait le surcroît de puissance post-réunification de notre cousin germain, cette concession faite à l’Allemagne pour qu’elle abandonne son mark et s’arrime à l’Europe, était un non-sens économique. Las, notre monnaie souffre d’un vice de construction qui la maintient surévaluée. Elle réunit artificiellement des économies très hétérogènes, dont certaines étouffent peu à peu. L’auteur de La démondialisation rejoint ici le prix Nobel Amartya Sen, qui qualifiait récemment de « décision saugrenue » le fait « d’adopter une monnaie unique sans plus d’intégration politique et économique ».
Pour autant, même si sa charge contre l’euro est violente, Sapir ne suggère pas de s’en débarrasser. On le sent partagé entre ses convictions d’ordre technique, et sa modération politique. Dès lors, il ne préconise pas, comme le fit récemment son confrère Gérard Lafay un retour coordonné mais rapide aux devises nationales. Il affirme au contraire : « il n’est nullement besoin de vouloir sortir de la zone euro ; il serait plus intéressant de chercher à la faire évoluer ». Et de proposer le retour à une sorte de « serpent monétaire européen », avec « une coordination des politiques monétaires autour d’une monnaie commune venant s’ajouter aux monnaies nationales ». Cela garantirait la pérennité de l’euro pour nos transactions extérieures, et la possibilité de fluctuations et d’ajustements au sein de l’eurozone.
Cette idée de monnaie commune est préconisée depuis longtemps déjà par certaines formations politiques, petits partis « souverainistes » de droite comme de gauche, mais que l’on entend peu tant le volume sonore est saturé par les idolâtres de la « règle d’or ». Elle semble pourtant bien raisonnable comparée à ces plans de sauvetage âprement négociés par le couple Merkel-Sarkozy et qui sont autant de rustines ne visant qu’à gagner du temps. Elle semble bien modérée comparée à ces plans de rigueur qui fleurissent dans toute l’Europe et qui, additionnés les uns aux autres risquent de nous entraîner dans une spirale récessioniste inexorable.
Il aura en tout cas fallu quelques décennies d’un volontarisme politique à toute épreuve pour nous conduire dans une impasse, preuve tangible que la politique est loin d’être impuissante. A présent, il ne reste à la volonté qu’à changer de cap.
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